La vision occidentale et réductrice du jardin japonais

        Le jardin japonais n’est pas seulement une zone de gravier râtissée, un bassin, une lanterne et un arbre taillé ! Quelle vision erronée, limitée et réductrice !!! Tout comme le jardin japonais n’est pas que le jardin zen ! A chaque fois, ce n’est qu’un aspect de celui-ci, parmi une multitude d’autres…

En fait, les fondements de l’art du jardin japonais, qui est, de par lui-même, un mode de vie à part entière, repose sur de vastes concepts d’harmonie entre l’homme et la nature. Si nous devions résumer le jardin japonais en une seule phrase, ce serait celle-ci … Une volonté de vivre en totale harmonie avec la nature.

art jardin japonais harmonie nature japon sakutei-ki

Je vous l’accorde… On est bien loin d’un simple bassin et d’une lanterne !

Pour s’en rendre compte plus facilement, il suffit de survoler brièvement l’évolution de l’art du jardin japonais.
        – Aussi loin que l’on puisse remonter dans le temps, le jardin japonais prend naissance vers l’an 300, avec les sépultures des dignitaires et chefs de guerre coréens venus envahir la moitié sud du Japon. Elles étaient construites dans des espaces clos, composées de gigantesques tumuli – les kofun – ornés de poteries et autres décorations végétales, le tout entouré d’une enceinte.
        – Un peu avant l’an 600, le Bouddhisme fait son apparition au Japon et est imposé comme religion nationale, se mêlant au croyances du Shintoïsme, une forme de chamanisme. C’est à ce moment-là qu’apparaissent les jardins-îles, représentation du paradis et symbole de l’élévation spirituelle bouddhiste.
        – Les années 700 voit l’apogée de la culture chinoise. Aux éléments essentiels – eaux, îles et montagnes… – viennent s’ajouter des éléments de décoration – fontaines et lanternes de pierre, ponts… – et les jardins deviennent de plus en plus grands, fleuris et colorés, entourant palais, temples et sanctuaires.

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        – De la fin des années 700 jusqu’à 1200 environ, cet art s’affine et la fin de cette période voit la rédaction d’un ouvrage inestimable, le Sakutei-ki, pendant très longtemps réservé aux initiés, qui codifie entre autres, dans quatorze rubriques différentes, la forme, la place et la représentation des pierres, la taille et l’emplacement de l’étang, la forme de ses rivages et de ses îles, l’orientation du cours d’eau qui le traverse… et jusque-là transmis oralement, de maître à élève. Les jardins cherchent à reproduire à l’identique l’ensemble d’un paysage naturel jusque dans ses moindres détails, afin de sublimer la beauté de la nature.
        – Les années 1200 assistent à la naissance du Bouddhisme Zen, venu de Chine, s’appuyant sur une discipline de vie austère, basés sur la méditation, le silence et la connaissance de Soi. Visant à trouver la quintessence de toute chose, il enseigne tout autant la réalité des choses que leur vacuité. Son impact sur l’art et la vie quotidienne ayant été énorme, il influence donc considérablement l’art des jardins. Apparaissent alors des représentations stylisées et épurées, fidèles traductions de cette quête incessante, où les îles et les pièces d’eau sont remplacées et figurées exclusivement par du sable blanc et des pierres, le vide étant propice à la méditation.

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        – Le début des années 1300 voit une reprise des relations avec la Chine et les jardins vont à nouveau considérablement évoluer. Les espaces vont se réduire et les jardins vont s’étendre même aux plus petits espaces, de manière à pouvoir être appréciés à l’extérieur, mais tout autant à partir de l’intérieur.
        – Le milieu des années 1500 assiste au développement de la cérémonie du thé, qui se déroule dans un petit pavillon extérieur à la maison, auquel on accède par un sentier qui serpente dans le jardin, bordé de lanternes et agrémenté d’un bassin de pierre nécessaire aux ablutions de purification, qui précèdent l’entrée dans la petite maison de thé. Il s’agit au niveau du jardin, de recréer dans un espace réduit, le calme paisible d’une retraite dans la montagne.

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        – Le début des années 1600 se caractérise par une fermeture du pays sur lui-même. Les jardins de thé vont perdre leur simplicité primitive pour se fondre dans de grands jardins, luxueux et colorés avec un nouveau style de jardin promenade. Des pavillons indépendants de la maison se répartissent autour d’un grand lac, des sentiers les reliant, créant un circuit de promenade. Les jardins secs, jardins de thé, jardins îles, jardins de déambulation et jardins empruntés s’y retrouvent simultanément. L’art du jardin est alors surtout basé sur des considérations esthétiques, mais garde toute son importance et sa vocation première dans les temples Bouddhistes Zen.
        – A la fin des années 1800, le Japon abolit le système féodal et s’ouvre à nouveau sur le monde, adoptant de nombreuses institutions occidentales. L’art du jardin bénéficie également de cette ouverture, des massifs de fleurs et de la pelouse y apparaissent alors. Il devient une profession et ne s’adresse plus exclusivement aux initiés. Aujourd’hui, des architectes et des dessinateurs, au travers d’adaptations modernes de traditions séculaires, expriment le plus pur esprit japonais dans l’art du jardin, en s’appuyant sur des critères de simplicité et de raffinement.

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Alors, réduire le jardin japonais uniquement au « Zen » ou à toute autre religion est une grossière erreur. Tous les différents courants culturels et religieux ont participé à son évolution, à son développement et on fait de lui ce qu’il est aujourd’hui. Le jardin japonais a pris naissance bien avant l’arrivée du « Zen » au Japon… Si l’art de dresser les pierres, tailler des arbres à la japonaise ou ratisser des mers de gravier paraît souvent découler du « Zen », il suffit d’une lecture approfondie du Sakutei-ki pour se rendre compte que c’est l’inverse, en fait, qui s’est produit. C’est par la création de jardins en suivant les préceptes anciens, que les moines bouddhistes zen ont trouvé un de leurs moyens de parvenir à l’éveil ou satori, par l’expression de Soi.

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